Ces cépages oubliés qui font revivre l’Ardèche : chronique d’une renaissance viticole

7 juin 2025


Pourquoi réintroduire les cépages anciens en Ardèche ?


Au XIX siècle, le vignoble ardéchois vibrait d’une diversité que la plupart d’entre nous n’imaginons plus. Avant le phylloxéra, la carte viticole du département dessinait un kaléidoscope de saveurs : des centaines d’hectares consacrés à des cépages aujourd’hui disparus ou marginalisés. À l’image du reste de la France, le fléau phylloxérique, et plus tard l’uniformisation du goût, ont réduit cette biodiversité à peau de chagrin.

Mais pourquoi quelques domaines, jeunes pousses dynamiques ou familles vigneronnes attachées à la mémoire, choisissent-ils de ressusciter ces variétés oubliées ?

  • Résilience au changement climatique : beaucoup de ces cépages se distinguent par leur adaptation au climat local, leur capacité à résister à la sécheresse (source : INRAE) ou leur faible sensibilité à certaines maladies.
  • Patrimoine et identité : réintroduire ces cépages, c’est renouer avec une histoire locale forte, redonner du caractère aux vins et se démarquer sur le marché.
  • Recherche aromatique et diversité gustative : chaque variété apporte son cortège de parfums, d’acidités, de textures, bien éloigné du standard “international” souvent reproché à certains bassins viticoles.

En Ardèche, cette démarche croise l’engagement de l’Union des Vignerons des Coteaux de l’Ardèche et d’acteurs comme l’IFV Sud-Est ou le réseau Ampélograf, qui recensent, expérimentent et accompagnent les vignerons curieux de ces renaissances.

Cépages anciens en Ardèche : voyage sensoriel dans le temps


Quels sont ces cépages revenus d’un passé que l’on croyait à jamais scellé ? Petite sélection non exhaustive de familles retrouvées ou en passe de l’être, entre bouteilles confidentielles et premiers hectares replantés.

1. Le Chatus : roc rouge de l’Ardèche cévenole

Le Chatus, autrefois roi des terrasses cévenoles, a bien failli disparaître du paysage. Ce rouge tannique aux reflets violets profonds fut pourtant cultivé sur près de 5 000 hectares au XIX (source : Syndicat du Chatus), avant d’être décimé par le phylloxéra puis “oublié” au profit de cépages plus productifs.

  • Profil : robe sombre, arômes de fruits noirs, notes de cuir, pointe sauvage et minérale
  • Réintroduction : relancé dès les années 1980, le Chatus renaît autour de Joyeuse, Rosières et Beaumont avec environ 60 hectares recensés aujourd’hui. Plusieurs domaines signent des cuvées sans concession, au potentiel de garde remarquable.

2. Le Plant de Brunel (ou Plant de Brunel noir)

Quasi mythique, ce cépage noir autrefois très présent au sud d’Aubenas fut recensé au XIX siècle dans tous les ouvrages ampélographiques régionaux (source : Vitis International Variety Catalogue, INRAE). Son vin, coloré, fruité, s’avérait rustique et marqué par une forte acidité.

  • Profil : fruits rouges acidulés, trame vive, notes de garrigue
  • Réintroduction : Patience et obstination… Quelques pieds anciens rescapés sont aujourd’hui multipliés en pépinière par certains pionniers, notamment en partenariat avec l’IFV Sud-Est. Les premières vinifications expérimentales remontent à 2016/2017.

3. La Dureza : un chaînon manquant entre Rhône nord et Ardèche

Si la Syrah est la star du Rhône septentrional, rares sont ceux qui savent que l’un de ses parents côté paternel est la Dureza, ancienne variété noire d’Ardèche presque disparue et récemment identifiée génétiquement (source : Le Monde, 2018).

  • Profil : tanins puissants, fruits noirs, violette, une rusticité élégante
  • Réintroduction : repérée surtout du côté de Tournon ou Saint-Joseph. Des essais de microvinification sont menés par quelques domaines à vocation patrimoniale.

4. Le Raisin de Montréal (aussi appelé Raisin de Biterne ou d’Italie)

Un cépage blanc, historique dans la région de Montréal d’Ardèche et du Bas-Vivarais, utilisé jadis pour fournir des raisins de table mais aussi de charmants blancs locaux (source : Ampélograf).

  • Profil : fraîcheur, fruits à chair blanche, citron, légère amertume
  • Réintroduction : mentionné par quelques vignerons qui souhaitent tenter des cuvées traditionnelles, il reste très rare et n’a pas encore franchi le cap de la commercialisation à large échelle.

5. Le Picardan noir et blanc : la pépite des vignes anciennes

On connaît leur nom grâce à Châteauneuf-du-Pape, mais ces raisins locaux figuraient aussi autrefois dans de nombreux assemblages ardéchois, en rouge comme en blanc.

  • Profil : notes de fleurs blanches, d’épices douces voire de fraise, fraicheur, légèreté
  • Réintroduction : quelques conservatoires et projets d’expérimentation, notamment autour de Villeneuve-de-Berg et dans le nord du département.

6. La Grosse Clairette et la Clairette Rose

Vieux cépages blancs, la Grosse Clairette a survécu dans quelques vieilles parcelles, tandis que la Clairette Rose séduit certains domaines pour ses parfums et sa résistance à la sécheresse.

  • Profil : fruits blancs, zestes d’agrumes, bouche ample
  • Réintroduction : combinaison de sauvegarde de pieds “reliques” et multiplication en pépinière, sous l’égide d’associations locales (ex : Ampélograf).

Autres cépages en observation

  • Bouteillan noir : autrefois apprécié pour sa rusticité, aujourd’hui à l’état de curiosité patrimoniale
  • Piquepoul noir : rare, mais recensé dans certaines parcelles expérimentales
  • Mesclun : assemblage traditionnel local parfois replanté avec diverses variétés anciennes, souvent sur de micro-parcelles.

Acteurs de la réintroduction : viticulteurs, associations et chercheurs à la manœuvre


Ressusciter un cépage ne se résume pas à planter quelques pieds. Derrière la renaissance des variétés oubliées, toute une filière se mobilise.

  • Les conservatoires et associations locales : Ampélograf, L’Instant Vinard, etc. recensent, protègent et multiplient les souches anciennes, parfois retrouvées dans des jardins de particuliers ou de vieilles fermes. Elles mènent un travail de fourmi, de l’identification ampélographique au bouturage.
  • Les organismes de recherche : INRAE, IFV Sud-Est (Institut Français de la Vigne et du Vin) travaillent sur la viabilité agronomique et œnologique des cépages, accompagnant les vignerons dans la replantation, la sélection et la vinification.
  • Les vignerons pionniers : certains domaines (Domaine Salel & Renaud, Domaine du Chapitre, Clos de l’Abbé Dubois…) multiplient sur leurs parcelles des essais souvent d’abord confidentiels, vinifient à l’ancienne et partagent leur expérience au fil des millésimes.

Le mouvement n’est pas isolé. De nombreux viticulteurs d’Ardèche Sud rejoignent des collectifs pour échanger leurs greffons et tester, ensemble, une viticulture aux racines profondes et à la curiosité intacte.

Challenges et promesses de cette redécouverte


La réintroduction des cépages anciens n’est pas une aventure sans obstacles. Les défis sont nombreux :

  1. Manque de documentation : la plupart de ces cépages n’ont plus été ni vinifiés, ni commercialisés à grande échelle durant plusieurs décennies. Les modes de conduite, de taille ou d’assemblage restent à réapprendre.
  2. Adaptation aux marchés : il faut convaincre le consommateur, le caviste ou le restaurateur de l’intérêt de ces découvertes… et éviter l’effet “curiosité” éphémère.
  3. Sanitaire : la sauvegarde de pieds sains, la lutte contre les maladies du bois, la multiplication en pépinières de qualité, tout cela nécessite temps et investissement.
  4. Aspects administratifs : certains cépages doivent être réinscrits au Catalogue officiel, une démarche longue et exigeante (source : FranceAgriMer, Catalogue Officiel des Variétés de Vigne cultivées en France).

Pourtant, la dynamique reste très stimulante. La diversité s’invite à nouveau dans les verres, et chaque nouvelle cuvée d’un cépage ressuscité devient une fête, une surprise, un minuscule accomplissement de la biodiversité d’aujourd’hui.

Balade dans les vignes : sur les traces des cépages anciens ardéchois


Pour qui veut parcourir cette Ardèche des cépages retrouvés, rien ne vaut une marche au cœur des terroirs : entre Joyeuse et Rosières pour le Chatus, dans les collines de Montréal-d’Ardèche pour le Plant de Brunel ou à l’ombre de Saint-Andéol-de-Berg pour quelques souches rescapées de Clairette Rose.

Ici, les rangées anciennes ne sont jamais loin d’un bosquet d’amandiers, d’un muret, d’une volée d’alouettes. Les conversations avec les vignerons évoquent la mémoire d’une génération, les saveurs d’autrefois, mais aussi la volonté d’offrir aux papilles curieuses des horizons inédits.

  • Certains domaines organisent désormais des dégustations “patrimoine”, mêlant anecdotes familiales, flacons d’exception et flâneries sensorielles
  • Des ateliers de greffage ou de reconnaissance des cépages sont régulièrement proposés à la belle saison, réunissant amateurs et passionnés de biodiversité
  • La carte évolue d’année en année : chaque millésime invitant à goûter une Ardèche qui, loin des standards, affirme d’autant plus sa personnalité.

Sources & pour aller plus loin


  • INRAE, Institut Français de la Vigne et du Vin : recherches sur les cépages anciens et autochtones
  • Ampélograf : travail de terrain, inventaire ampélographique
  • FranceAgriMer : état du catalogue officiel, variétés admises et expérimentées
  • Syndicat du Chatus : historique et actualités du cépage phare de l’Ardèche cévenole
  • Vitis International Variety Catalogue
  • Le Monde, article : « La Syrah retrouvée à travers la Dureza » (2018)

Entre terre, mémoire et verre, la redécouverte des cépages anciens en Ardèche n’est pas juste un retour en arrière : c’est un saut vers la diversité, la résilience, le goût. Dans le paysage lumineux des collines ardéchoises, chaque grappe ressuscitée est une promesse renouvelée d’émotion et de surprise.

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